Un chef cuisinier se doit de mettre en scène le terroir, de le faire vivre, évoluer et de le partager à un grand nombre. Ces explorations gustatives autour des produits locaux fribourgeois font partie de la transformation opérée par les instigateurs du label “Restaurant agréé Terroir Fribourg” il y a peu.
Loin de tourner le dos aux établissements proposant des mets traditionnels, l’idée réside dans l’élargissement du champ d’action: au-delà de la tradition fribourgeoise, la provenance du produit revient au centre, faisant écho au processus de certification entamé en 2017. Alors, “Restaurant agréé”, une contrainte? Au contraire! Les conditions comprises dans la charte représentent une source de créativité pour certains chefs, dont Bertrand Chardonnens. Mettons les voiles sur Estavayer-le-Lac, cap sur le “Rive Sud” et sur sa carte créative dans laquelle le terroir frémit et brille dans chaque plat, à chaque saison.
Tombé dans la marmite
Quand Bertrand Chardonnens parle de terroir, il évoque d’abord son enfance, les fêtes de famille et ses repas emblématiques. Dans son cas, on peut vraiment dire qu’il est tombé dans la marmite tout petit. Un grand-père puis un oncle boulangers, un autre oncle et une tante restaurateurs, encore une autre tante productrice de vin cuit, tout destinait ce jeune Broyard à se lancer dans un métier de bouche. Pas de surprise alors quand il décide d’entamer un apprentissage de cuisinier au Restaurant des Bains à Avenches, puis lorsqu’il se lance dans une seconde formation de pâtissier-confiseur chez Dubey-Grandjean à Romont. Quelques expériences professionnelles plus tard, il décide de prendre du recul, s’éloigne des cuisines et laboratoires pour passer cinq ans dans le milieu de la mécanique où il manage une équipe et gère une petite entreprise. Mais l’appel des fourneaux est plus fort, surtout quand il est murmuré par sa future épouse, Carole, alors fraîchement diplômée de l’école hôtelière, avec qui il reprend l’établissement de l’Hôtel de Ville d’Estavayer-le-Lac en 2010. Un coup de foudre total. Ensemble, ils rebaptisent l’établissement du nom évocateur de “Rive Sud” et façonnent petit à petit le restaurant et les 21 chambres que comptent l’hôtel attenant.
Le label “Restaurant agréé Terroir Fribourg” comme une évidence
Toujours soucieux de cohérence, Carole et Bertrand Chardonnens ont entrepris en 2018 les démarches pour devenir “Restaurant agréé Terroir Fribourg”. Relativisant les appréciations et les notes - par ailleurs très bonnes - des guides bien connus, le couple de restaurateurs souhaitait se recentrer sur une démarche qui donne du sens. “La première notion que nous souhaitions véhiculer au Rive Sud c’est que “Ici, on cuisine”. Pour ce faire, nous avons d’abord adhéré au label Fait maison. Inclure les produits et les producteurs locaux dans ce cheminement coulait de source et le label “Restaurant agréé Terroir Fribourg” s’est présenté comme une évidence”, explique Bertrand Chardonnens.
L’imagination avant tout
Restrictif, ce label? “Aucunement”, rétorque le chef. “Faire ma carte, c’est un peu comme un jeu”, avoue-t-il. Il confronte la charte du label, la liste des produits disponibles chez ses différents producteurs, et la partie commence! Saupoudrées d’une dose généreuse de créativité, les idées prennent forme avant de se concrétiser dans les assiettes. Sur la carte du Rive Sud, chaque plat contient un ou plusieurs clins d’oeil au terroir. “Je me replonge parfois dans des ouvrages plus anciens de cuisiniers fribourgeois comme Orlando Grisoni ou Tante Marthe. Ils utilisaient beaucoup de produits de proximité que l’on a oubliés. J’adapte les recettes à mon goût, je donne leur un coup de jeune, une pointe d’audace et d’originalité”, dévoile le chef. Il se laisse volontiers inspirer par la cuisine italienne également, “pour son côté brut, un bon produit assorti d’un bon geste”, résume-t-il.
Et la tradition dans tout ça?
Le chef n’a pas peur de bousculer certaines traditions culinaires d’ici et d’ailleurs. Avec son lot de réussites et d’expériences mitigées: “J’avais tenté, il y a quelques années, de revisiter le menu de Bénichon. Le résultat n’avait pas plu à tout le monde: soit j’étais allé trop loin, soit pas assez. Au final, force est de constater que lorsqu’on parle de la Bénichon, les clients veulent de la tradition. Et ça me fait plaisir!”. L’organisation de la Bénichon du Pays de Fribourg en septembre 2018 à Estavayer-le-Lac a à son tour ravivé cette tradition en perte de vitesse, surtout auprès des restaurateurs de la ville. “Le succès qu’a connu le menu de Bénichon traditionnel servi nous motive à faire perdurer cet événement. Je compte bien sur mon engagement dans la société de développement d’Estavayer-le-Lac pour inciter mes collègues restaurateurs à poursuivre sans cette voie”, prévoit-il.
Des incontournables
Aux yeux de Bertrand Chardonnens, la tradition reste un élément important qui garde sa place dans sa cuisine. Certains mets traditionnels figurent sur la carte, comme les macaronis de chalet qui accompagnent une volaille label de la Gruyère de la Ferme de la Belle-Luce, “mon plat signature”, sourie-t-il. Une sélection de fromages provenant de la laiterie de Châtonnaye d’Alexandre Guex ainsi que le Bleu de Fribourg de la fromagerie de Grangeneuve figurent également comme des incontournables de la carte. Sans oublier les vins broyards de Cheyres et du Château de Font ainsi que les crus du Vully fort bien représentés!
Sensibiliser le consommateur
Bertrand Chardonnens est ouvert à tous les produits du terroir. Même les abats ne lui font pas peur, c’est dire! Mais il prend un plaisir particulier à apprêter les poissons du lac, fournis par trois pêcheurs d’Estavayer et de Chevroux. “J’aime amener mes clients à redécouvrir des poissons de chez nous qui sont peu cuisinés, comme le brochet, le silure ou la palée”, se réjouit-il. Le chef apprécie également les légumes, fournis par Daniel Jacot et le Marché des Chandines, tous deux à Delley. “Chaque mardi, je m’émerveille quand arrivent les cageots de légumes: des formes variées, non calibrées, de la fraîcheur, des odeurs, du goût, rien que du vrai!”, s’enthousiasme le chef. Les huiles de colza et de tournesol - qu’il préfère souvent à l’huile d’olive étrangère - sont livrées par son cousin de Châbles. “Grâce au label “Restaurant agréé Terroir Fribourg”, je suis fier de pouvoir afficher à la porte de mon restaurant le respect à la provenance des produits. Que de bons échos me parviennent!”, se félicite-t-il. Et pour conclure, “l’un de nos rôles consiste également à sensibiliser le consommateur, à participer à son éducation”.
Christelle Grangier, mars 2019