Par Christelle Grangier
Histoire de ne pas trop patiner dans le yogourt, André Brodard, directeur de la Fédération des Sociétés fribourgeoises de laiterie apporte quelques éclairages sur la filière du lait.
Quels sont les différents modes de production de lait?
Même s’il n’y a qu’un lait de vache, on différencie deux modes de production : le lait d’ensilage, que l’on appelle également lait de centrale, et le lait de non ensilage, le lait destiné aux fromageries. Cette différence est apportée par le fourrage. Les vaches bénéficient de l’herbe pâturée l’été et du foin séché durant l’hiver en ration principale pour le lait de non ensilage. Le lait d’ensilage permet l’affouragement avec de l’herbe mise en silo ou en balles rondes. Ce mode de production est moins contraignant et moins coûteux: dès qu’on a de l’herbe et de bonnes conditions météorologiques, on peut faucher et conditionner l’herbe sèche. Le foin non conditionné en silo nécessite en plus un sol sec et plus de place de stockage. À côté de ces deux premières distinctions, on trouve également pour chacune une production de lait conventionnel et de lait bio.
Qui se charge du lait après la production?
Dans le canton de Fribourg, on a produit quelque 356’351 tonnes de lait en 2022, tous modes confondus, sur 1176 exploitations. Tout lait produit est destiné à un acheteur, qui peut être soit une centrale soit un fromager. Quatre acheteurs principaux de lait de centrale, Cremo – le principal –, Elsa, Nestlé et Milco acquièrent 40% du lait produit dans le canton. Les 60% restants sont achetés par des fromageries villageoises. Derrière ce terme, on parle de fromagers qui transforment le lait par le biais d’installations qui appartiennent aux producteurs de lait réunis en société de laiterie. Le fromager est indépendant, il loue les installations de sa fromagerie à une société de laiterie composée de producteurs de lait qui lui sont rattachés.
Comment un producteur sait quelle quantité de lait il peut produire?
Chaque producteur bénéficie d’un droit de livraison de lait. Pour livrer à l’industrie, le droit s’obtient facilement, Par contre, le droit de livraison en fromagerie dépend des kilos de fromages attribués à un lieu de production par les interprofessions du Gruyère et du Vacherin Fribourgeois. Il faut faire partie de la société de laiterie qui décide de la répartition de ces attributions selon les quotas de fromage attribués. C’est le marché qui détermine les quantités de fromage à produire. En 2024, les deux interprofessions ont diminué leurs quotas en réaction au recul du marché, c’est donc l’entier de la filière qui subit des restrictions sur leur production : le producteur qui est moins payé, le fromager et affineur qui vendent moins de fromage et la société de laiterie qui encaisse moins de revenus auprès du fromager.
Comment réagit un producteur qui doit diminuer sa production de lait de fromagerie?
Il peut choisir de réguler son bétail ou de livrer le lait excédentaire à une centrale. Mais les deux options présentent une baisse de revenus pour le producteur. Le lait de non-ensilage excédentaire livré en centrale n’est pas valorisé comme tel, il est payé comme du lait d’ensilage.
Quel est le rôle de la Fédération des Sociétés fribourgeoises de laiterie (FSFL)?
La FSFL rassemble près de 150 sociétés de laiterie à travers tout le canton. La première mission de la FSFL est la gestion des quantités de lait. Jusqu’en 2003, il y avait le contingentement laitier, c’était la Confédération qui attribuait les quotas et les fédérations laitières géraient pour le compte de la Confédération. Lorsque le contingentement est tombé, en 2009, la Confédération a confié le mandat aux fédérations. Nous confirmons à chaque producteur les kilos de lait qui lui sont attribués. Ils peuvent consulter en tout temps une base de données bdlait qui indique combien de lait ils ont coulé et ce qu’il reste. La FSFL a également des représentants dans les interprofessions tant au sein des comités que dans les assemblées de délégués, dans l’Interprofession du lait, l’Interprofession du Gruyère et l’Interprofession du Vacherin Fribourgeois. Il nous arrive également souvent de conseiller les producteurs et les sociétés de laiterie dans les changements majeurs qu’ils connaissent, lors de remise d’exploitation ou de transformation d’installations par exemple.
Où se situe la production laitière fribourgeoise par rapport à l’entier de la Suisse?
Fribourg représente plus du 10% de la production laitière totale. Nous sommes d’ailleurs la troisième fédération laitière la plus importante de Suisse. La typologie des surfaces fribourgeoises encourage la pâture et la production de lait.
Comment le climat influence-t-il la production de lait?
Le climat va sans doute redistribuer les cartes. On voit qu’il est de plus en plus difficile de faire du foin de qualité, entre périodes humides et sécheresses. On voit déjà qu’en région de plaine, vite sujettes à la sécheresse, dans la Broye, la production laitière diminue déjà beaucoup, en faveur d’autres cultures ou de production de viande. De manière générale, si les grandes exploitations laitières de plaine cessent de produire du lait, il faudra que nous en importions davantage, ce qui est difficile à concevoir.
Pourtant c’est un fait, la Suisse importe énormément de produits laitiers…
Effectivement. En 2023, pour la première fois depuis l’ouverture de la ligne jaune laissant libre l’importation de fromage, la Suisse a d’ailleurs plus importé de fromage qu’elle n’en a exporté. Il s’agit principalement de fromage frais et de pâtes molles. Jusqu’en 2021, les exportations en général ont augmenté, mais depuis elles diminuent. La faute au franc fort et à la grande distribution qui propose à la vente un panel impressionnant de produits importés à bas coût.
On parle beaucoup du prix du lait, quelle est la situation aujourd’hui?
La grande distribution décide de presque tout. Les deux géants oranges achètent près de 80% de la production, on ne peut pas s’en passer. Ils fixent le prix moyen du fromage qui influence l’indice du prix du lait et empêche les augmentations qui seraient dues aux producteurs. On distingue 3 catégories qui déterminent le prix du lait. Le prix A représente le lait transformé en Suisse en produits laitiers à haute valeur ajoutée comme les différents types de fromages. Le prix B est assigné à des produits destinés à l’exportation, comme la poudre de lait. Le prix C concerne le lait excédentaire, mais comme nous transformons toute la production en Suisse, nous n’en payons pas sous ce régime-là. L’Interprofession du lait communique chaque trimestre l’indice du prix du lait calculé par l’Office fédéral de l’agriculture. Cet indice est formé de 23 critères sur lesquels les producteurs n’ont aucune influence. À l’heure actuelle, la paie du lait ne couvre pas les frais de production des éleveurs. Tout le monde aimerait augmenter le prix du lait, mais il faut que le consommateur suive !